La plupart des personnes qui démarrent dans la restauration et que j’ai eu la chance de rencontrer, qu’ils soient franchisés pour BCHEF ou en train de lancer leur propre concept, ont l’air polarisés sur la valorisation des fonds de commerce. Il faut dire qu’il y a de quoi s’y perdre entre la réalité comptable, les idées reçues et l’optimisme non dissimulé de certains agents immobilier (dont on se rappellera que l’objectif n’est pas votre réussite, mais bien la réussite de la vente).
Et pour cause, la valorisation d’un restaurant, comme celle d’une grande chaîne, reste soumise à la complexe loi de l’offre et de la demande. Il n’existe aucune formule mathématique qui vous assure d’acheter ou de vendre au bon prix. Chacun y va donc de sa propre méthode, souvent dans le sens qui l’arrange (plus cher pour le vendeur, moins cher pour l’acheteur, et plus vite pour l’agent immobilier).
Alors comment s’assurer de trouver une valorisation satisfaisante pour l’acheteur et le vendeur ?
Mon fonds de commerce vaut 80% de mon chiffre d’affaires
Afin d’entamer cette étude, j’ai posé la question à quelques agents immobilier à Paris et en région sur la valeur de mon restaurant.
Pour la majorité d’entre eux, la réponse est simple et sans détour : il faut valoriser « entre 80% et 100% de votre chiffre d’affaires » en région parisienne, parfois un peu moins en province, même si la logique reste la même. Lorsque je demande si nous parlons HT ou TTC, la réponse dépend de l’agent contacté.
Ce mode de valorisation revient d’ailleurs chez les experts-comptables, l’une des personnes interrogées m’expliquant que la valeur du fonds de commerce doit varier entre 50 et 100 %, avec une moyenne autour de 70 % du chiffre d’affaires annuel TTC. Eux s’accordent sur le TTC.
Pourtant, si l’on se rattache aux faits :
- Une étude INSEE de 2016 affiche un chiffre d’affaires moyen dans la restauration de 238 k€ HT (soit un chiffre d’affaires TTC de l’ordre de 260 k€)
- Le BODACC (bulletin officiel des annonces civiles et commerciales) affiche pour la 2015 un montant moyen de cession de 129 k€, soit 49,6% du chiffre d’affaires TTC moyen de la restauration.
- La cession de la majorité du groupe FLO au groupe BERTRAND, selon un montage complexe, mais arrivant à une valorisation clairement en dessous du chiffre d’affaires cumulé du groupe.
On est, souvent, bien loin des 70, 80 voir 100% exprimés par les experts interrogés. Ce qui ne les empêche pas de ne jurer que par cette méthode.
Le chiffre d’affaires est un mauvais outil de valorisation
Mais poussons la réflexion un cran plus loin. Considérons que vous souhaitiez racheter un restaurant sous enseigne nationale et réalisant un chiffre d’affaires de 366 000 € HT (CA moyen des « petites chaines » de restauration issu de l’enquête annuelle de BRA tendance 2017 sur la restauration de chaine en traditionnel). La question est simple : utiliseriez-vous achèteriez-vous au même prix si celui-ci :
- Affiche un excédent brut d’exploitation de l’ordre de 25%, ce qui permettrait mécaniquement de rembourser jusqu’à 570 k€ d’emprunt avec intérêt sur 7 ans
- Affiche un excédent brut négatif et des dettes qui pousseront rapidement le propriétaire à mettre la clé sous la porte
J’ose espérer que non. Car si c’était le cas, il me suffirait de me faire référencer sur l’ensemble des sites de livraison à domicile pour y vendre des produits avec la moins bonne marge possible (donc au meilleur rapport qualité prix perçu par le client) pour gonfler mon chiffre d’affaires et vous vendre cher quelque chose qui n’a aucune valeur à prix d’or.
Cet exemple fonctionne aussi avec d’autres critères moins évidents, mais dont l’influence est toute aussi importante dans la valorisation réelle d’un fonds de commerce.
La valorisation au chiffre d’affaires est selon moi un raccourci dont l’efficacité doit être remise en question par les acheteurs, les vendeurs, mais aussi par les professionnels et experts, tant elle fausse la vision qu’ont certains restaurateurs de la valeur de leur bien.
À quoi s’attache le vendeur dans une vente ?
Une telle remise en question va être rude, pour les vendeurs, les intermédiaires et les acheteurs. La fixation du prix de vente initial d’un fonds de commerce par le vendeur est aujourd’hui très souvent dé-corrélée de la réalité de sa situation.
Comme je l’expliquais plus haut, le vendeur tend à fixer son prix de vente en fonction de son chiffre d’affaires, puis négociera plus ou moins durement selon :
- Son attachement à son commerce et au travail qu’il y a fourni celui-ci complexifie la négociation qui prend souvent un tournant émotionnel. Si cet élément est trop présent et bloque toute négociation, mieux vaut parfois abandonner la transaction
- Ses éventuelles dettes auprès des organismes bancaires qu’il souhaitera rembourser avec la cession de son fond. Cette contrainte peut être utile dans les cas de cession d’un fonds de commerce déficitaire dont le vendeur souhaite s’extraire.
- Ses résultats mensuels, qui pourraient lui faire perdre plus d’argent à moyen terme qu’une négociation à la baisse.
Je me suis ainsi vu proposer au cours de ces dernières années plusieurs fonds de commerce joliment « maquillés » mais dont les performances m’auraient fait peur même sans rachat de fonds de commerce. Exemples :
- Un commerce passé de 280 k€ HT à 160 k€ HT en l’espace de 3 ans, résultat net inférieur à zéro, situé dans un quartier à la concurrence croissante et que le vendeur présentait comme une super affaire à 150 k€, expliquant qu’il avait gagné tellement d’argent par le passé que c’était très difficile pour lui de s’en séparer
- Un commerce cédé 3 fois en 5 ans à la même valeur sans aucune progression notable du chiffre d’affaires et ce quel que soit le concept et revendu au même prix une quatrième fois
Aucun intérêt à acheter ces fonds compte tenu du contexte. Ils ont pourtant fini par trouver acquéreur. Pour combien de temps ?
Alors quelles méthodes utiliser ?
Si le chiffre d’affaires n’est pas le bon reflet d’une valeur de fonds de commerce, quelles sont les méthodes qui peuvent être utilisées pour obtenir une juste valeur ? J’en dénombre deux principales (ce qui ne veut pas dire qu’il n’en existe pas d’autres bonnes) :
1. Valorisation basée sur l’EBE : Cette méthodologie se base sur l’excédent brut d’exploitation du commerce pour lui donner une valeur. Elle permet de mettre en exergue la capacité du fonds de commerce dans son état actuel à financer l’emprunt que contractera l’acheteur. De manière plus concrète, si votre fonds de commerce génère 40 000 euros d’excédent brut d’exploitation par an, il devrait pouvoir financer un remboursement de crédit maximal de 40 000 euros.
Pour un restaurant seul, on utilisera généralement un multiple de l’EBE (4 ou 5) pour estimer la valeur réelle du fond, alors que pour un groupe en croissance, on lui préfèrera une méthode dite des Free Cash Flows qui permet de prendre en compte l’incertitude sur la croissance future.
Cette méthode à l’avantage d’être simple et de donner une vision réelle de ce que peut générer le fonds de commerce. En revanche, elle désavantage le « mauvais gestionnaire » qui pourraient voir la valeur intrinsèque de leur fond impactée par un mauvais contrôle des marges
2. Valorisation basée sur les actifs : Cette méthodologie permet de valoriser un restaurant d’un point de vue purement comptable, sur la valeur de ses équipements (valeur nette comptable). Elle sera utilisée dans les cas de restaurants ayant de mauvais résultats et pour lesquelles la valorisation à l’EBE perd son sens (elle devient nulle ou négative).
Dans les faits, on en revient alors à céder la société en elle-même sans donner de valeur au fonds de commerce (ou bien minime). L’avantage, c’est que cette méthode est simple et peu contestable sur le principe. En revanche, elle sera difficilement acceptable pour le vendeur si celui-ci dégage du résultat puisqu’elle revient à accepter son échec et sortir avec le minimum acceptable.
Aucune de ces deux méthodes n’est plus juste que l’autre. Le fait de les avoir en tête toutes les deux vous permettra de vous rassurer sur l’idée que vous vendez / achetez un bien au prix le plus juste pour les deux parties
Sur quels facteurs tangibles l’acheteur et le vendeur peuvent-ils négocier à partir d’une valorisation
Au-delà de ces méthodes, plusieurs facteurs tangibles mais difficilement quantifiables pourront permettre d’augmenter ou diminuer la valorisation acceptable
En effet, il convient souvent de laisser un peu de liberté autour des deux méthodes vues ci-dessus, car dans le fond, on peut aussi se dire que la juste valeur d’un bien serait la valeur qui permet à l’acheteur de rentabiliser correctement son activité tout en récompensant le vendeur au regard de sa contribution au futur succès de l’acheteur.
Le bon prix répond donc à une équation principale pour l’acheteur : quel sera mon compte de résultat si je reprends ce fonds de commerce et quel montant permet-il de financer en complément des travaux que je vais y effectuer. Le compte de résultat
Dans ce contexte, plusieurs éléments peuvent venir modifier la valeur du fond :
1. L’ancienneté du point de vente / Le coût de rénovation du concept : Considérons que vous achetiez un vieux restaurant qui demande à être rénové. Les coûts de rénovation vont s’ajouter au prix d’achat et venir alourdir le compte de résultat avec des amortissements. L’acheteur doit alors établir un business plan sur la base des comptes de résultats du vendeur et soustraire à ce business plan les amortissements liés à ses travaux. Si votre restaurant dégage 40 000 euros d’excédent brut mais que vous souhaitez réaliser 120 000 € de travaux (financés par un emprunt sur 7 ans), vous devez prendre en compte le remboursement du fonds de commerce mais aussi le remboursement de l’emprunt pendant la durée de vos travaux. Je parle bien ici de trésorerie, car le fonds de commerce ne s’amorti généralement pas dans un compte de résultat. Le juste prix se situe alors probablement entre 160 k€ et 180 k€.
2. Le marché local et son évolution : la valeur du fond peut être facilement revue à la hausse ou à la baisse en fonction des évolutions du marché local. Vous pouvez ainsi demander la diminution d’une valeur si vous estimez que le marché local est en forte décroissance (fréquentation en baisse, baisse du nombre d’emplois sur la zone, etc.). A contrario, vous pourriez être tenté de revoir le prix à la hausse si vous estimez que le marché peut augmenter de manière significative. Dans les deux cas, l’important reste la construction de votre prévisionnel.
3. Le changement de concept : le choix d’un changement de concept entraine des travaux, mais aussi une modification structurelle du compte de résultat (chiffre d’affaires, coûts salariaux, achats). Il convient alors de repenser l’ensemble du business plan pour valoriser au plus juste. Un exemple. Considérons que l’on vous propose un fonds de commerce réalisant à chiffre d’affaires de 400 000 euros et un EBE nul, avec un concept vieillissant et ne correspondant plus aux attentes locales. Si en le transformant, vous pensez pouvoir augmenter le chiffre d’affaires de 30% et ramener l’EBE à 20%, vous allez foncièrement valoriser le fonds de commerce et obtenir une capacité de remboursement bien plus élevée. Vous avez donc la possibilité d’accepter une valorisation plus élevée sans mettre en péril votre modèle.
2 réponses à “Quelle est la valeur réelle d’un fonds de commerce ?”
Entièrement d’accord et convaincu qu’il faille un suivi quotidien de ses indicateurs de gestion, c’est avant tout du bon sens et de la responsabilité, on ne gère pas une entreprise avec son cœur mais avec sa tête, l’affecte c’est le liant.
Pour la seconde partie de votre précieuse analyse, on n’oubli souvent que les contrats de franchise cache souvent quelques subtilités qu’il est difficile d’appréhender et qui sont handicapant et pénalise les résultats d’exploitation, comme les contrats d’entretien avec les intermédiaires ou des remodeling tout les 5 ans qui s’avèrent très coûteux.
C’est assez vrai. Dès lors que le contrat de franchise est utilisé par le franchiseur sans réfléxion profonde sur ce qu’il implique chez les franchisés, des dérives peuvent exister. Au dela du contrat, la tête de réseau doit savoir trouver un ROI à chaque dépense qu’elle impose, et se l’imposer à elle même (sur ses propres entités) pour démontrer son intérêt.