Pourquoi la majorité des programmes de fidélité de restaurants et coffee shops devraient être repensés ?

Pourquoi la majorité des programmes de fidélité de restaurants et coffee shops devraient être repensés ?

D’après une étude (Oracle) parue en 2018, 70% des millenials sont membres d’au moins un programme de fidélité de marque contre seulement 20% des baby-boomers. Les programmes de fidélité sont devenus un impondérable de la relation qu’entretient une marque avec ses clients.

Les consommateurs s’investissent de plus en plus dans leurs programmes de fidélité, et le fait de ne pas avoir mis en place ce type de programme semble constituer un désavantage compétitif important pour une enseigne de commerce en réseau.

Mais avant de foncer tête baissée vers un système de cashback ou de carte à point, il me semble fondamental de bien comprendre le mécanisme de la fidélité chez le consommateur et d’apprécier la rentabilité réelle du système que l’on choisit de mettre en place

Pourquoi j’estime qu’il faut éviter la remise récurrente ou le cashback

Lorsque nous échangeons avec nos franchisés au sujet de notre stratégie de fidélisation, les programmes de remise récurrente ou de cashback sont les plus fréquemment évoqués. Ils sont d’ailleurs les plus représentés au sein des enseignes de restauration à ce jour. Et pour cause, ils sont simples à mettre en œuvre et proposent un avantage direct au client qui, selon les restaurateurs, devrait faciliter leur adhésion

Plusieurs études sérieuses ont pourtant démontré le contraire. Une étude Oracle Hospitality sur la fidélisation en restauration démontrait ainsi en 2018 que seuls 27% des consommateurs s’abonnaient régulièrement aux systèmes de fidélité sur la base d’une offre de ce type.

Afin de mieux comprendre la mécanique de ces systèmes, j’ai pris le temps d’analyser les données issues de notre ancien système de fidélisation (système à points avec cadeaux à la clé). On s’aperçoit que la plupart des personnes s’inscrivant à un programme de cash back ou de remise récurrente sont en réalité des clients déjà largement fidélisés à la marque. Un constat relativement logique : avez-vous déjà pris une carte de fidélité dans un restaurant ou vous ne vous rendez que deux ou trois fois par an ?

Ce constat pose néanmoins problème. Avec du recul, la plupart des restaurateurs offrent aujourd’hui 5, 10 voire 15% de remise récurrente à des clients qui seraient pour la plupart venus même sans cette remise. Sans aucune assurance de faire augmenter le panier moyen ou la fréquence de visite.

Pire encore, ces systèmes ne récompensent jamais la loyauté du client. Que je vienne une fois ou 50 fois dans l’année, j’aurais le droit à la même chose. En ce sens, elles ne créent pas d’attachement particulier à la marque et n’empêchent pas le client d’aller voir la concurrence si celle-ci propose une remise équivalente. Ils ne permettent pas non plus de connaitre les clients et leurs modes de consommation puisqu’ils sont souvent séparés des systèmes d’encaissement et de vente.

Or c’est la tout l’intérêt d’un système de fidélité : faire grandir une base client au-delà de vos habitués, à moindre coût, puis analyser le comportement de chacun de vos clients pour les faire revenir et pour améliorer le ciblage de vos campagnes marketing.

Quel modèle d’acquisition choisir ?

Le modèle de cashback n’est pas un bon levier d’acquisition. Les startups elles-mêmes l’ont bien compris. Même dans le domaine de la restauration :

  • Deliveroo n’offre pas 10% à l’ensemble des clients qui laissent leur adresse mail. En revanche, il paye pour vous faire entrer dans son programme (près de 10 € de coût d’acquisition pour Deliveroo, entre la publicité et les remises immédiates à l’inscription) et analyse vos habitudes de consommations pour vous pousser à consommer plus souvent
  • Frichti qui livrait 20 000 repas par semaine à Paris fin 2018 ne fais pas de cashback ou de carte à point. Comme deliveroo, l’entreprise lève des fonds pour accélérer l’acquisition de ses clients à coût élevé puis génère de la fidélité par la connaissance de ses client et la récompense ciblée. Elle offrait dernièrement 5 ou 10 € pour une première commande.
  • En dehors du domaine de la restauration, UBER a lui aussi misé sur des coûts d’acquisition élevés (première course offerte, parrainage) pour faire grossir sa base de client qu’il fidélisera par la suite sans offrir de promotions.

Le modèle d’acquisition doit répondre à un principe simple : recruter le plus de clients potentiels possibles au coût le moins élevé possible.

Afin de mieux comprendre la cible de votre programme et la manière dont il doit être structuré pour favoriser l’acquisition de clients, il est intéressant de segmenter votre base de clients en 4 catégories :

  • Les fidèles qui viendront manger en moyenne une fois par semaine
  • Les convertis qui viendront manger en moyenne une fois par mois
  • Les curieux qui viennent manger entre 3 et 10 fois par an
  • Les visiteurs uniques qui viennent une fois ou deux dans votre établissement

Les deux premières catégories représentent une part importante de votre chiffre d’affaires, mais une minorité de clients. Ils s’inscriront majoritairement au programme de fidélité mais changeront peu leurs habitudes une fois dans le programme (mais serons plus aptes à parler de vous si vous les traitez bien). C’est en réalité le troisième groupe (les curieux) qui offre le plus grand potentiel de croissance de chiffre d’affaires et qu’il faut réussir à recruter et fidéliser.

L’intérêt du restaurateur n’est pas d’offrir une carte au client déjà converti, mais de recruter des clients qui ne sont pas encore convertis avec l’objectif de les convertir. Or les clients qui ne sont pas encore convertis ont peu d’intérêt à avoir une remise récurrente ou à récupérer 50 centimes sur chacune de leurs commandes. Ils ne se projettent pas dans la marque et dans une possible récurrence de fréquentation.

Les clients curieux et visiteurs ont de plus grandes chances d’adhérer à votre programme s’ils y voient une récompense immédiate et non engageante. La course offerte par UBER ou le 10 € sur un repas de Frichti répondent parfaitement à ce besoin. C’est sur ce type de cadeau qu’il faudra miser pour développer une véritable base clients.

En parallèle, il faut se poser la question du client qui ne vous connait pas, qui n’est jamais venu chez vous, mais qui potentiellement pourrait devenir un fidèle. Ce client à priori inaccessible et qui aura peu de répondant face à un mailing publicitaire, aura une forte tendance à répondre à une recommandation. Le parrainage rempli parfaitement ce rôle à condition, encore, de s’accompagner d’une forte récompense directe pour le parrain et pour son filleul. Frichti offre ainsi une remise importante sur le premier repas de chaque filleul et une remise complémentaire au parrain pour chacun de ses filleuls. On retrouve ce type de méthode dans de très nombreuses startups.

Ces stratégies d’acquisition sont certes onéreuses (3, 5, 10 € euros de coût d’acquisition), mais elles n’en sont pas moins rentables sur le long terme contrairement aux cashback ou remises récurrentes :

  • Pour les clients fidèles et convertis, le cashback récurrent coûte bien plus cher sur le long terme qu’une acquisition par cadeau direct (i.e. un client récurrent inscrit à un programme de remise 10% chez BCHEF peut coûter jusqu’à 250 euros sur 5 ans, contre 5 € en acquisition par cadeau immédiat)
  • Pour les clients curieux, vous payez certes l’entrée du client au programme de fidélité, mais n’auriez probablement pas réussi à le faire entrer via un programme traditionnel (cashback ou remises récurrentes)

Faciliter le processus d’entrée de vos clients

La manière dont vous recrutez ne vaut rien si votre processus de recrutement n’est pas simple et transparent. Si vous souhaitez profiter au maximum de votre programme de fidélité, l’accession doit être une formalité pour le client.

Le processus d’inscription par exemple, doit être rapide et basique. Il ne doit pas demander trop d’informations personnelles, mais se contenter du strict minimum (nom, prénom, téléphone et mail). Visuellement, la page d’inscription (si vous utilisez internet ou une application) doit être simple et graphique. Elle doit éventuellement proposer une signature via Facebook pour accélérer le processus.

Les règles de votre programme doivent être simples elles aussi. Oubliez les listes complexes avec des exceptions et des règles spécifiques. Tout doit être compréhensible en une seule lecture de moins d’une minute. Vous aurez tout le loisir d’ajuster et d’expliquer au client plus tard les spécificités de votre programme, commencez par vous concentrer sur l’essentiel.

Acheter de la fidélité ou créer de la loyauté ?

Cette approche de l’acquisition, à la fois simple et ambitieuse, vous permettra de convertir 40 à 80% de clients supplémentaires à votre programme et d’attirer des nouveaux clients par parrainage. Il ne vous reste alors qu’à engager une stratégie de fidélisation basée sur la loyauté et non sur la remise.

Le client loyal aime la marque, il lui fait confiance et la recommande. Il consommera naturellement plus. Le client Apple est typiquement un client à forte loyauté. Il revient toujours acheter chez Apple même en sachant que le rapport qualité prix n’est pas le meilleur du marché et qu’il n’obtiendra jamais aucune récompense pour sa loyauté. On citera aussi Mc Donalds ou Sushi Shop dans le domaine de la restauration comme exemples d’entreprises ayant rendu leurs clients loyaux.

Celui qui est entretenu par une réduction arrêtera simplement de venir lorsque la réduction lui sera retirée. L’exemple type du client entretenu par réduction est le client « Groupons ». Il cherche la réduction mais n’offre pas d’appréciation particulière à la marque qui la lui offre. La réduction a même tendance à dévaloriser la marque sur le long terme.

Nous entrons alors sur une question pour laquelle le marché de la restauration est très en retard sur le reste du commerce en réseau : la connaissance des clients. Car pour rendre un client loyal, il faut non seulement lui donner le sentiment d’être privilégié et récompensé pour sa loyauté, mais aussi lui donner le sentiment que son privilège / sa récompense n’ont pas été choisis par hasard.

Sans que cette liste ne soit exhaustive, voici les six méthodes que je privilégie pour améliorer la loyauté des clients :

  • Utilisez un système de grade pour pousser vos clients à plus de visites

C’est le système de prédilection des compagnies aériennes. Elles octroient des privilèges peu coûteux mais perçus comme très avantageux pas les clients (comme le coupe file, les salons privés ou le surclassement) en fonction de la fréquence des vols réalisés. Plus le client est récurrent, plus il est récompensé par des privilèges exclusifs et moins il a envie de baisser sa fréquence de visite.

Sephora utilise un système similaire basé sur le montant annuel dépensé qui donne accès à des ventes privées ou évènements mode pour ses meilleurs clients, alors que les clients ponctuels doivent se contenter d’une remise pour leur anniversaire.

Ces deux systèmes valorisent la loyauté du client à long terme et non la récurrence à court terme sur la base d’un gain. Ils fonctionnent d’autant plus que l’enseigne qui les utilise a la capacité de créer une communauté et de générer des dépenses importantes par client.

Ces modèles doivent être expliqués de manière simple et précise pour que les clients perçoivent immédiatement l’avantage d’être un client récurrent et tentent d’accéder au grade supérieur.

  • Associez-vous à une cause caritative

Le sentiment de connexion à la marque et à ses valeurs est un des aspects fondamentaux de la fidélisation. Il aurait même plus d’impact qu’une réduction récurrente sur le long terme aux yeux des clients. C’est ce qui pousse certaines marques à mettre en avant une cause au sein de leur programme de fidélité

La ou tous vos concurrents sont capables d’offrir 5% de remise, peu d’entre eux vont choisir de reverser chaque année une partie de leur CA à une cause et de vous faire participer au geste.

Body Shop valorise par exemple son combat contre les tests cosmétiques sur les animaux dans l’ensemble de ses boutiques, alors que TOMs (chaussures) vous propose d’échanger vos points de fidélité contre un don à une association de soutien scolaire.

  • Créez des partenariats inter-marques

Les bailleurs de centre commerciaux font depuis plusieurs années des cartes de réduction inter commerçants pour faire venir les clients dans leur galerie. L’objectif de ces cartes est d’élever le panier moyen des clients passant dans leurs centres en les amenant à acheter chez plusieurs commerçants à la fois.

Les compagnies aériennes, elles aussi, se regroupent pour proposer des programmes de fidélité plus larges et intéressants à leurs clients.

Le regroupement inter-marque permet d’offrir un panel d’avantages beaucoup plus large à vos clients (qui jouiront des mêmes privilèges dans toutes les marques). Il permet surtout de bénéficier d’une base client partagée bien plus forte que celle que vous n’auriez acquis en étant seuls.

  • Faites de votre programme de fidélité un jeu addictif

La « gamification » de votre programme de fidélité est un levier très important de rétention clients, qui améliore de manière significative leur engagement envers votre marque. Elle est massivement utilisée par les start-up technologiques pour recruter des utilisateurs et maintenir des taux d’engagement élevés. Certaines études américaines estimaient que la gamification permettait des augmentations de 15 à 40% des durée d’engagement des clients.

Votre programme de fidélité peut devenir un jeu en misant sur plusieurs ressorts. Le plus basique : les points que vous gagnez à chaque achat et qui vous permettent d’obtenir des récompenses. Mais on trouve aussi d’autres systèmes intéressants : les systèmes basés sur des objectifs à atteindre (grades, badges, récompenses numériques) ou les compétitions (au cours desquelles les clients doivent remplir des missions pour espérer obtenir une grosse récompense).

Ces programmes sont d’autant plus puissants que vos clients sont jeunes et qu’ils dépensent de manière régulière des petits montants.

  • Offrez des récompenses à vos clients de manière spontanée

La récompense spontanée peut avoir beaucoup plus d’impact sur vos clients que la récompense récurrente. Autrement dit, le client valorisera plus un cadeau inattendu de 10 € en une seule fois que 1€ offert pour ses 50 prochaines visites.

Votre programme peut jouer sur ce biais cognitif en multipliant les petites attentions pour vos clients récurrents. Un cadeau pour son anniversaire, un produit offert pour sa 10ème visite, un repas offert pour un repas acheté à la saint-valentin. Soyez créatifs, et surprenant, vos clients valoriseront l’effort.

L’ensemble de ces méthodes impose une connaissance client précise et des outils d’automatisation intelligents. Ils vont généralement demander l’apport d’un véritable CRM interconnecté à vos outils de commande et de gestions. Quelle que soit votre activité, la communication entre l’ensemble de vos systèmes est une clé dont vous ne pourrez-vous passer.

Utiliser ma base client pour générer du trafic

La fidélité ne s’arrête pas là ou les campagnes mail et SMS commencent. Bien au contraire, elles sont l’un des leviers de communication principaux entre vous et vos clients et permettent d’entretenir la récurrence de visite lorsque celle-ci semble s’affaiblir. Le programme de fidélité reste avant tout un moyen de constituer une base client solide dont vous pouvez vous servir pour mieux cibler vos campagnes.

L’objectif de ces campagnes est simple : retenir les clients récurrents et inciter les curieux à dépenser plus qu’ils ne l’auraient fait sans campagne. Dans cette optique, il est tout aussi efficace d’envoyer chaque mois votre produit du mois avec 10% à tous vos clients que de chercher une aiguille dans une botte de foin.

Je favorise à ce titre 5 typologies de campagnes qui ont le mérite de créer un boost de chiffre d’affaires tout en évitant de lasser votre base client. Toutes ces campagnes doivent être ciblées selon des critères à définir dans votre base de données.

  • Boost de fidélité : certains jours de la semaine ou certains mois de l’année, offrez des journées dédiées à vos meilleurs clients au cours desquelles ils bénéficient d’offres spéciales (un produit acheté = un produit offert par exemple). Ces campagnes doivent valoriser les plus fidèles ou faire revenir un client qui n’aurait pas fréquenté votre établissement depuis longtemps
  • Accompagnants : misez sur vos clients fidèles pour vous recommander à leurs amis en proposant une promotion pour l’achat de deux produits (i.e. le repas de votre ami à -50%). Dans la restauration, il est aussi possible de miser sur des offres familiales. Ces campagnes permettent à la fois d’augmenter le chiffre d’affaires et de recruter pour votre programme de fidélité
  • Mode de consommation : favorisez la commande en ligne si vous développez ce moyen de paiement, ou les achats sur vos créneaux horaires les moins productifs. La promotion vous permet ici de donner un sentiment de privilège au client tout améliorant la gestion de vos plannings
  • Campagnes compte à rebours : Lancez une promotion pour vos meilleurs clients avec une notion d’urgence. Cette urgence peut être créée par le nombre de clients qui y auront droit (i.e. pour les 100 premiers clients qui nous contacteront) ou par les délais pour réaliser l’achat (valable uniquement 24h par exemple).
  • Concours à forte dotation : ce concours vise à inciter les clients à venir en restaurant pour gagner de très gros lots. On pourrait citer en exemple le Monopoly de Mc Donald’s qui booste chaque année les ventes en restaurant avec des récompenses très élevées.

Le jeu en vaut-il la peine ?

Pour ceux qui s’intéressent au sujet, j’ai réalisé une modélisation simplifiée d’un programme de fidélité basée sur une cinquantaine de paramètres qui tend à démontrer qu’un programme misant sur les enseignements évoqués dans cet article peut être jusqu’à 8 fois plus rentable qu’un programme de remise classique. Certains programmes en cashback sont d’ailleurs probablement déficitaires (i.e. je perd plus d’argent en promotion récurrente que je ne gagne de chiffre d’affaires grâce à la fidélité)

Si vous êtes restaurateur, il est impératif de vous convaincre d’aller plus loin que votre vieille carte à points. Tout du moins, d’engager une réflexion de fond sur le sens du programme de fidélité que vous souhaitez mettre en place et sur la rentabilité qu’il apportera (ou n’apportera pas) à votre activité.

Quant aux éditeurs de logiciels et de programmes de fidélité, beaucoup d’entre vous n’ont malheureusement pas pris la mesure de la tâche et se consacrent à développer des programmes simplistes de recrutement à court terme qui ne s’interconnectent que peu avec les autres systèmes de vos clients. L’avenir de votre marché tient dans la gestion des flux de données, dans la connaissance des clients et dans la mise en place de stratégies rentables de fidélisation. Votre clientèle (les commerçants) ne peut plus se contenter de brader ses produits pour collecter des adresses mails.

Certes, les efforts à dédier à la mise en place d’un tel programme sont importants, mais ils en valent clairement la peine.

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